Intervention lors du congrès du MFEC, en juin 2009 à l’Ecole Vétérinaire de Maisons-Alfort.
Deux aspects : 1/ Mon parcours professionnel : comment j’ai évolué d’une pratique de vétérinaire- comportementaliste à ma pratique actuelle de comportementaliste-éducateur.2/ La communication entre les vétérinaires et les éducateurs.
1/ Mon parcours
Je suis vétérinaire ; diplômée en 1978, après 6 années d’études qui ne comportaient à l’époque pas le moindre enseignement sur le comportement des animaux.
Le diplôme de «vétérinaire comportementaliste » a été créé dans les ENVF en 1998. Contrairement à la profession d’éducateur, celle de vétérinaire est extrêmement réglementée : pour avoir droit au titre de « vétérinaire comportementaliste », il faut avoir suivi une formation postuniversitaire longue et très exigeante, et réussi tous les examens qui la sanctionnent. J’ai commencé cette formation en 2001 : 2 semaines de cours théoriques en mars, un examen théorique en septembre. Ensuite une semaine de formation pratique (des consultations de comportement), puis la rédaction d’un mémoire comprenant un sujet libre, et la rédaction complète de 9 cas cliniques traités personnellement. Ce mémoire devait être soutenu publiquement en principe 18 mois après la formation pratique. S’il était validé suivait, quelques mois plus tard, l’épreuve ultime de consultation en public.
Cette formation ne comportait pas d’éducation. Mais j’avais choisi de rédiger mon mémoire sur « les clubs d’éducation canine », ce qui m’a permis de faire un tour de département des clubs et des éducateurs qui y existaient en 2003.
L’éducation m’intéresse depuis toujours : bien comprise, elle constitue la prévention de la plupart des troubles du comportement. Et c’est tellement plus facile de prévenir que de guérir !
En 2005, lorsque j’ai quitté mon associée, pour de multiples raisons je n’avais plus envie d’exercer la médecine générale. Mon intention était de m’installer comme Vétérinaire en exercice exclusif de comportement – ce qui incluait pour moi, forcément, l’éducation.
Pour m’y former j’ai fait dix jours de stage chez AM Villars, consoeur vétérinaire suisse, qui tient une « Ecole des chiots » pour ses clients depuis quelques années, et qui travaille avec une éducatrice qui s’occupe des chiens ados – méthode traditionnelle. En 2006 j’ai remplacé Anne-Marie à Lausanne pendant 2 mois.
Entretemps j’avais découvert le Clicker, et ensuite le MFEC et Catherine Collignon, chez qui j’ai fait un stage de clicker en septembre 2007, ce qui a été comme une révélation pour moi.
Mais au moment de m’installer comme « Vétérinaire Comportementaliste », l’Ordre Régional Breton des Vétérinaires m’a interdit d’avoir une activité d’éducation en tant que vétérinaire.
J’ai donc opté pour la profession d’ « Educatrice de chiens de compagnie et Comportementaliste pour chiens et pour chats » que j’exerce aujourd’hui, avec beaucoup de satisfaction.
D’une profession à l’autre, la pratique est différente :
Quand j’étais vétérinaire, j’étais généraliste, et je faisais, en plus, des consultations de comportement – c’est le cas le plus fréquent ; rares sont les vétérinaires comportementalistes, même diplômés, qui ont abandonné la pratique généraliste.
Je recevais les clients et leur animal dans mon cabinet de consultation. J’observais l’animal, conduisais un entretien avec les propriétaires, et pratiquais un examen médical, afin de déceler une éventuelle pathologie organique; je sortais rarement de mon cabinet avec le chien et les clients.
Tout cela, en principe, ne devait pas excéder une heure.
Au bout de laquelle il fallait émettre un diagnostic, un pronostic et un traitement. Ce traitement était une « thérapie comportementale », en d’autres termes une rééducation, que j’expliquais à mon client, et que je consignais par écrit, mais je ne leur montrais pas, parce que je ne savais pas bien le faire, et parce que cela aurait pris trop de temps. Bref, cela restait très théorique. Je passais aussi, parfois, par la case médicament – mais j’avoue que je n’ai jamais eu beaucoup de réussite avec les médicaments. Je donnais au client un RV téléphonique au bout de 2 à 3 semaines, qui était rarement respecté. Bien souvent c’était moi qui les rappelais. Je voyais rarement les gens plus d’une fois, et ne pouvais donc guère suivre l’évolution des cas, ce que je trouvais frustrant.
Depuis que je suis comportementaliste-éducatrice, je fais toujours des bilans de comportement, sur la même base théorique. Mais dès le premier contact c’est différent :
Soit je me rends au domicile des propriétaires, ce qui est souvent très riche en enseignements quant à l’attitude du chien chez lui, à son cadre de vie dans sa globalité, et aux habitudes que les gens entretiennent avec leur animal ;
Soit je les reçois dans mon local, où les chiens arrivent tous en frétillant, rien qu’à l’idée de retrouver Bingo et les potes.
Bingo, c’est mon chien : il travaille tous les jours avec moi. C’est un fox-terrier à poil lisse, qui aura bientôt trois ans. Il a été très difficile à éduquer – il m’a beaucoup appris – et est loin d’être parfait, mais il a une qualité majeure pour un chien : sa sociabilité. Tout le monde l’aime et il aime tout le monde. En fait, il communique à merveille avec ses congénères, et je lui fais entière confiance à ce niveau-là : je sais que quand Bingo a un problème avec un chien, c’est que ce chien n’est pas clair. Tous mes clients ont affaire à lui, généralement pour leur grand plaisir. Ensemble nous arrivons à resocialiser des chiens qui ont désappris la communication intraspécifique, et les maîtres reprennent confiance en leur chien.
Cela, je pense qu’aucun vétérinaire ne le fait, par manque de temps et de lieux pour le faire, et par manque de pratique.
J’ai la chance de travailler dans une petite ville du bord de mer. Mon local professionnel est en ville, tout près du port, et systématiquement nous sortons, avec le chien et accompagnés de Bingo, faire un tour en ville, à la grève en bas de chez moi, au jardin public à deux pas. Nous croisons des voitures, des gens de toutes sortes, d’autres chiens, des enfants. Cela peut durer une heure, et fait partie intégrante du bilan de comportement : je peux constater moi-même les réactions du chien et du maître dans toutes ces circonstances, et elles sont souvent assez différentes de celles décrites par le propriétaire. Pendant cette promenade, l’entretien continue avec les clients, qui sont souvent plus locaces que dans un cabinet, parce que petit à petit ils se détendent. La durée est importante : je pense franchement que bien souvent une heure ne suffit pas pour obtenir une bonne alliance avec les clients.
Je me suis départie du diagnostic nosographique.
Par exemple en matière d’hyperactivité. Il est certain que la grande majorité des chiens que nous recevons sont en «hyper ». Le vétérinaire comportementaliste va vouloir déterminer si le chien est ou non HSHA (Hypersensible-Hyperactif), et a des critères précis pour cela. Mais beaucoup d’hyperactifs ne sont en réalité que des chiens énergiques qui manquent d’activité. Je suis complètement d’accord avec Joël Dehasse à ce propos (*).
Je vais donc préconiser pour ces chiens du cadre et de l’activité, entre autres de l’éducation, là où le vétérinaire, bien souvent, prescrira d’abord un médicament psychotrope pour « calmer » le chien.
Je dis souvent que le clicker vaut tous les médicaments du monde !
Ce qui importe pour moi, c’est de donner aux gens des clefs pour sortir du cercle vicieux où ils se trouvent avec leur chien : c’est ce qu’ils attendent de moi.
D’abord on parle du fond : Je leur explique, de façon très détaillée, le fonctionnement de leur chien, les règles qu’il faut lui donner, la façon dont il apprend.
Ensuite je leur explique puis je leur montre les gestes techniques qu’il faut faire, ensuite je les regarde les exécuter eux-mêmes, en apportant des corrections si besoin.
Une fois le bilan de comportement terminé, les clients repartent chez eux avec un document écrit, où sont précisées les consignes à respecter, en ce qui concerne leur communication avec leur chien.
Souvent nous nous revoyons pour un cours particulier la semaine ou la quinzaine suivante : on fait le point sur ce qu’ils ont réussi à modifier dans leurs habitudes, ce qu’ils ont constaté comme changements, les points qui restent à préciser. En général ils sont déjà très contents : le chien est plus calme, et eux aussi ; la relation se repositive. Ils reprennent confiance l’un dans l’autre. Et le contact avec Bingo est déjà bien meilleur : le chien a déjà récupéré des compétences relationnelles intraspécifiques. Je donne alors un premier cours particulier d’éducation : leurre-récompense ou clicker, au choix.
Si les clients le souhaitent, on embraye sur des cours collectifs dès la semaine suivante. Ce qui est intéressant, c’est de voir semaine après semaine l’évolution du chien et de ses maîtres. Une séance collective dure une heure à une heure et demie. A la fin de chaque cours je donne des devoirs à faire pour la fois suivante.
Le vétérinaire –comportementaliste ne voit pas cette évolution ; il ne suit pas les gens de semaine en semaine pendant 2 ou 3 mois, ne passe jamais autant de temps avec les clients. Or c’est l’observation de l’évolution de la relation qui est intéressante, et qui permet de rectifier le tir si besoin.
2/ Les relations entre vétérinaires et éducateur
– Les chiots
Les vétérinaires étant, après les éleveurs, les premiers professionnels que rencontrent les maîtres avec leur chiot (pour le rappel du vaccin, à 3 mois) il est évident qu’ils peuvent être, s’ils le souhaitent, la meilleure source de clientèle pour les éducateurs.
Ce n’est malheureusement pas le cas : les vétos ont du mal à conseiller activement à tous leurs clients qui adoptent un chiot des leçons d’éducation, dès 2 ou 3 mois. Ils ne le font que si le chiot leur paraît présenter un problème. Pour les chiots « normaux », ils donnent eux-mêmes des conseils, souvent c’est trop long, purement théorique, et souvent les clients ne les écoutent que d’une oreille. « On aurait dit qu’il récitait un cours », m’a confié une cliente la semaine dernière. Je le sais parce que je le faisais moi-même et j’en avais parfaitement conscience. Je trouvais ça très insatisfaisant.
Je pense qu’ils feraient mieux de nous les envoyer directement en classe de chiots, où nous accompagnons véritablement les clients pendant toute la période de l’enfance.
– Les ados et les adultes
Les vétérinaires généralistes sont indiscutablement mes meilleurs pourvoyeurs de clients en comportement, c’est-à-dire de chiens adultes, et surtout adolescents, qui posent des problèmes à leurs propriétaires. Avec quatre à cinq vétos des environs (pas avec tous, malheureusement), que je remercie pour leur confiance, avons des échanges très fructueux. Chacun y trouve son compte, et leurs clients leur sont très reconnaissants de les avoir référés à un professionnel compétent. De plus en plus souvent, ces vétos m’envoient directement leurs clients, sans essayer de se débrouiller par eux-mêmes. Les vétérinaires qui procèdent comme ça disent qu’au contraire de leur avoir fait perdre des clients, ça leur en a apporté, et que ça a consolidé leur clientèle.
Il y a aussi les généralistes qui font eux-mêmes leurs consultations de comportement, sans avoir toute la formation des comportementalistes. Beaucoup ont suivi récemment la formation des vétérinaires à l’évaluation comportementale.
Et il y a les vétérinaires comportementalistes diplômés, très peu nombreux, pour qui je n’ai pratiquement jamais fait d’éducation ni de rééducation.
Ces vétérinaires-là pourraient très bien, après avoir fait leur consultation de comportement, référer leurs clients à un éducateur pouraccompagner les maîtres dans la pratique de la rééducation, chose qu’ils ne font pas eux-mêmes, par manque de temps et, il faut bien le dire, de compétence pour le faire. Lorsque j’étais à leur place, j’aurais aimé travailler en équipe avec un éducateur compétent. Mais à l’époque il n’y en avait pas dans ma région. C’est d’ailleurs ce qui m’a donné envie d’en faire ma profession.
Ce que j’aimerais pour l’avenir :
Je pense depuis longtemps que les deux métiers, de vétérinaire (comportementaliste ou non) et d’éducateur de chiens de compagnie, sont complémentaires. Et que nous avons tous intérêt à travailler ensemble, pour le plus grand bien des chiens, de leurs maîtres et de la société.
Cela suppose :
Que l’éducation pratiquée soit positive; il est à mon sens inconcevable qu’un vétérinaire préconise une éducation coercitive.
Une entente préalable entre les deux professionnels, qui doivent tenir au client le même discours de base.
Une écoute mutuelle : il est normal qu’un vétérinaire comportementaliste soit directif, il connaît la théorie ; mais il doit être capable d’écouter et de laisser faire l’éducateur qui lui apporte son expérience pratique.
Un échange permanent et bilatéral, avec adaptation progressive aux résultats obtenus.
Tout le monde y gagnerait.
L’échec absolu, c’est l’euthanasie pour une cause comportementale d’un chien qui n’a pas bénéficié des services d’un bon éducateur.
Tout le monde perd dans ce cas: le chien d’abord, qui perd la vie, le maître qui perd son chien, avec un sentiment d’échec et de culpabilité terrible, le vétérinaire qui tue son client, et l’éducateur qui ne l’a jamais eu.
Un exemple extrêmement fréquent à notre époque de psychose des « chiens dangereux » : le chien mal socialisé et éventuellement mal cadré au départ, qui à la puberté devient agressif, envers les humains mais le plus souvent envers ses congénères. Il entre alors dans une spirale infernale (désocialisation – manque d’activité – agressivité), qui se termine souvent par un drame (morsure, abandon et/ou euthanasie), qui aurait pu être évité.
Il faut que les éducateurs en méthodes positives informent davantage les vétérinaires de ce qu’ils sont capables de faire : notre métier est encore trop déconsidéré par les vétérinaires qu’il faut amener à nous faire confiance.
Et il faut que les vétérinaires cessent de vouloir garder tout pour eux. Bien souvent ils le font au détriment de leurs clients. Les vétérinaires ont une obligation de moyens, et le recours à un éducateur compétent est, à mon sens, l’un de ces moyens. S’ils ne le mettent pas en œuvre, ils risquent, à terme, de mécontenter leurs clients et de les voir partir…
De même que le généraliste réfère le chien qui s’est cassé une patte à un confrère chirurgien orthopédiste, il devrait référer à un éducateur ses clients empêtrés dans des problèmes d’éducation.
Car il me paraît au moins aussi grave pour un client d’avoir un chien mal éduqué qu’un chien boiteux !